LA NUIT DU CRIME
20 ans plus tôt. Novembre 2004.
La pluie martèle le toit en tôle ondulée. Ping-ping-ping-ping.
Papa Fotso sort de sa case. Sandalettes en plastique dans la boue. Il serre sa veste militaire contre son torse.
"Qui est là ?"
Sa voix se perd dans le bruit de l'orage.
Une silhouette massive émerge de l'obscurité. Papa Mbouda. Imperméable noir ruisselant. Deux hommes l'encadrent.
"Bonsoir, mon ami."
Papa Fotso recule d'un pas. Sa main cherche la poignée de sa porte.
"Que fais-tu ici à cette heure ?"
"Nous devons parler. Des terres de Baleng."
La boue gicle sous leurs pieds. L'eau coule en rigoles entre les cases.
"Il n'y a rien à dire. J'ai refusé ton offre."
Papa Mbouda fait un geste. Ses hommes avancent.
"Erreur, Fotso. Grosse erreur."
LE TÉMOIN CACHÉ
Derrière un bananier, une femme observe. Mama Ndjock. Quarante ans. Pagne noué serré. Elle se plaque contre le tronc humide.
Son cœur bat si fort qu'elle entend le sang dans ses oreilles.
Papa Fotso lève les mains. "Attendez ! On peut négocier !"
"Trop tard."
Le premier homme sort un couteau. La lame brille sous la lumière de la lampe tempête.
Papa Fotso court vers sa case. Ses pieds dérapent. Il tombe dans la boue. Se relève. Court encore.
La porte claque derrière lui.
Les trois hommes l'encerclent. Mama Ndjock entend des voix étouffées. Des coups sourds contre la porte.
Un cri.
Puis plus rien.
LA DÉCOUVERTE DU FILS
Le petit Komé, douze ans, dort sur sa natte. Pieds nus. Short déchiré.
Des pas lourds approchent. Il ouvre les yeux.
"Papa ?"
Silence.
Il se lève. Pousse la porte de la chambre de son père.
Vide.
Il sort de la case. La pluie a cessé. L'air sent la terre mouillée et quelque chose d'autre. Quelque chose de métallique.
"Papa ! Où es-tu ?"
Il fait le tour de la case. S'arrête net.
Son père gît dans la boue. Chemise déchirée. Sang qui se mélange à l'eau de pluie.
"Papa ! Papa !"
Komé s'agenouille. Secoue le corps inerte. Ses petites mains se tachent de rouge.
"Au secours ! Quelqu'un ! Mon papa !"
Sa voix se casse. Les larmes coulent sur ses joues.
Personne ne vient.
L'ENQUÊTE BÂCLÉE
Le commissariat de Bafoussam. Une ampoule nue balance au plafond. Les murs suintent l'humidité.
Le commissaire Mbarga, bedaine proéminente, mâche un cure-dent. Il ne lève même pas les yeux de son journal.
"Accident, petit. Ton papa a glissé dans la boue."
Komé serre les poings. Ses ongles s'enfoncent dans ses paumes.
"Non ! Il y avait des hommes ! Je les ai vus !"
"Tu as rêvé."
Le commissaire tourne une page. Le papier froisse.
"Mais le sang ! Les blessures !"
"Il est tombé sur une pierre."
Mbarga lève enfin les yeux. Son regard est froid.
"Rentre chez toi, gamin. Oublie cette histoire."
Un billet de banque dépasse de sa poche de chemise. Neuf et froissé.
FLASHBACK : LE SECRET DE MAMA NDJOCK
Le lendemain du meurtre.
Mama Ndjock frappe à la porte de Papa Mbouda. Trois coups secs.
Il ouvre. Sourire satisfait. Cigare entre les lèvres.
"Ah, Ndjock. Entre."
Elle hésite sur le seuil. Ses mains tremblent.
"J'ai tout vu hier soir."
Le sourire de Papa Mbouda se fige.
"Tu as vu quoi ?"
"Ce que tu as fait à Fotso."
Il retire son cigare. La cendre tombe sur le carrelage.
"Prouve-le."
Elle sort un morceau de tissu de sa poche. Noir. Déchiré.
"Ça, c'est de ton imperméable. Je l'ai trouvé près du corps."
Papa Mbouda saisit le tissu. L'examine.
"Qu'est-ce que tu veux ?"
"Que tu prennes soin de ma famille. Toujours."
Il hoche la tête lentement.
"Tu es une femme intelligente, Ndjock."
Il va vers son bureau. Ouvre un tiroir. Sort une liasse de billets.
"Voilà pour commencer."
L'argent change de main. Mama Ndjock le glisse dans son pagne.
"Et le garçon ? Le fils de Fotso ?"
"Qu'est-ce qu'il peut faire ? Il n'a que douze ans."
Papa Mbouda rallume son cigare.
"Les enfants oublient vite."
LE SERMENT SUR LA TOMBE
Une semaine plus tard.
Le cimetière de Dschang. Tombes en ciment grisâtre. Herbes folles entre les sépultures.
Komé agenouillé devant une croix de bois. Nom gravé au couteau : "FOTSO PAUL 1962-2004".
Il pose ses mains sur la terre fraîche.
"Papa... je te promets..."
Sa voix se brise. Il renifle fort.
"Je te promets que je les ferai payer."
Le vent fait bruisser les feuilles de manguier.
"Mbouda et sa famille. Ils vont souffrir comme tu as souffert."
Il arrache une poignée de terre. La serre dans son poing.
"Je le jure sur ta tombe."
Des larmes tombent sur ses mains sales.
"Je le jure, Papa."
RETOUR AU PRÉSENT
Aujourd'hui.
Komé ouvre les yeux dans son lit king-size. Draps de soie froissés. Sueur froide sur son front.
Le même rêve. Encore.
Il se lève. Va vers la fenêtre. Écarte les rideaux.
La ville s'étend à ses pieds. Lumières qui scintillent. Voitures qui passent.
"Bientôt, Papa. Très bientôt."
Il touche la photo dans sa table de nuit. Papa Fotso en uniforme militaire. Sourire fier.
Son téléphone vibre. Message.
"C'est prêt. RDV habituel. E."
Komé referme l'appareil. Ses mâchoires se serrent.
LA RENCONTRE SECRÈTE
Le bar "Le Joker". Musique assourdissante. Fumée de cigarettes. Néons rouges et bleus.
Komé pousse la porte du fond. Escalier sombre. Odeur de bière et de sueur.
Cave humide. Une seule ampoule. Deux chaises face à face.
Ekane l'attend. Cicatrice qui barre sa joue gauche. Barbe de trois jours. Veste en cuir usée.
"Tu es en retard."
"J'avais des choses à finir."
Komé s'assoit. La chaise grince.
Ekane pose une enveloppe kraft sur la table bancale.
"Tout y est. Photos, documents, témoignages."
"Les preuves sont solides ?"
"Béton armé."
Komé ouvre l'enveloppe. Sort des photos jaunies. Papa Mbouda serrant la main d'hommes en costume.
"Les témoins sont prêts à parler ?"
"Ils attendent ton signal."
Ekane allume une cigarette. La fumée monte vers l'ampoule.
"Tu es sûr de vouloir aller jusqu'au bout ?"
Komé lève les yeux. Ses iris brillent dans la pénombre.
"Mon père n'aura pas attendu vingt ans pour rien."
"Et ta femme ? Elle ne se doute de rien ?"
"Ngozi est aveuglée par son orgueil. Elle ne voit que ce qu'elle veut voir."
Il range les photos. Referme l'enveloppe.
"Et la petite sœur ?"
Komé sourit. Un sourire sans chaleur.
"Adjoa ? Elle va m'aider sans le savoir."
"Comment ça ?"
"Plus Ngozi me fera espionner, plus j'aurai d'occasions de préparer ma vengeance."
Il se lève. Glisse l'enveloppe dans sa veste.
"L'ironie est délicieuse, tu ne trouves pas ?"
LE PLAN SE PRÉCISE
Parking souterrain du bar. Béton humide. Néons blancs qui clignotent.
Les deux hommes marchent vers leurs voitures. Leurs pas résonnent.
"Quand passes-tu à l'action ?" demande Ekane.
"Bientôt. Il me faut encore quelques pièces du puzzle."
Komé appuie sur sa télécommande. Sa BMW noire clignote.
"Les comptes offshore sont prêts ?"
"Depuis longtemps."
"Et le plan B si ça tourne mal ?"
Ekane tapote sa veste. Quelque chose de dur se dessine sous le tissu.
"J'ai ce qu'il faut."
Komé ouvre sa portière.
"Bien. Reste discret. La phase finale approche."
Il démarre. Le moteur rugit entre les murs de béton.
Dans son rétroviseur, Ekane devient de plus en plus petit.
RETOUR À LA VILLA
La BMW s'arrête devant les grilles dorées. Komé coupe le moteur.
La villa est éclairée. Ngozi l'attend sûrement. Avec ses questions. Ses soupçons.
Il saisit l'enveloppe kraft. La cache dans la boîte à gants.
"Patience, Papa. Plus que quelques semaines."
Il sort de la voiture. Claque la portière.
Le gravier crisse sous ses chaussures italiennes. Un monde sépare l'homme qui entre dans cette villa de l'enfant qui pleurait sur une tombe.
Mais la rage, elle, n'a pas changé.
Elle brûle toujours au même endroit.
Dans son cœur de fils orphelin.
FIN DE L'ÉPISODE 3
La vengeance prend forme...

