HORIZON 2060
ÉPISODE 1 : LE CODE DU BIDONVILLE
Le hologramme de cinquante mètres crache sa propagande au-dessus de la Place de l'Indépendance. Le Président Nkosi flotte dans l'air humide, son sourire plastiné large comme un stade. Ses mots défilent en trois langues – français, anglais, douala.
Douala avance. Douala prospère. Ensemble vers 2065."
Amara Nkolo tape sur son clavier holographique. Ses doigts dansent dans le vide. Le terminal bricolé vibre contre sa cuisse. Trente secondes. C'est tout ce dont elle a besoin.
Autour d'elle, la foule grouille. Vendeurs de puces neuronales contrefaites. Gamins qui proposent des recharges solaires. Une femme hurle le prix de ses mangues génétiquement modifiées. Personne ne regarde vers le toit du marché Akwa où Amara s'accroupit, cachée derrière un panneau publicitaire mort.
Quinze secondes.
La sueur coule dans son dos. Le soleil de mars frappe comme un marteau. En contrebas, les tours de Bonanjo percent les nuages artificiels – verre, acier, hologrammes qui ondulent. Des drones de surveillance patrouillent en essaim. Leurs caméras balaient la masse humaine.
Dix secondes.
Elle pense à Koffi. Son frère. Dix-sept ans. Trois balles dans le dos lors de la manifestation du 12 janvier. "Pacification préventive", avait déclaré le communiqué officiel.
Cinq secondes.
Le code s'injecte.
Le visage du Président s'efface. Pixel par pixel. Remplacé par autre chose. Du texte rouge sang qui explose dans le ciel.
"ILS MENTENT. ILS TUENT. ILS NOUS REGARDENT. RÉVEILLEZ-VOUS. – LES SAWA"
Un QR code apparaît. Il pulse comme un cœur. Trois secondes avant que le système de sécurité ne réagisse.
Amara sourit.
En bas, des centaines de têtes se lèvent. Des terminaux personnels scannent le code. L'information se propage. Virus numérique. Contagion de vérité.
Puis les sirènes hurlent.
Des drones pivotent. Leurs projecteurs balaient le marché. Faisceaux blancs qui tranchent la pénombre entre les toits de tôle. Amara déconnecte son terminal. Le range dans son sac. Court.
Ses pieds claquent sur le métal rouillé. Un toit. Deux toits. Trois. Elle saute les espaces vides. En dessous, l'eau stagnante du bidonville reflète les néons. New Bell. Son quartier. Submergé depuis l'Inondation de 2055. Les gens vivent au deuxième étage maintenant. Le rez-de-chaussée appartient aux rats et aux serveurs refroidis à l'eau.
Un drone surgit devant elle.
Sphère noire. Trois lentilles rouges. Un haut-parleur crache : "Citoyenne, identifiez-vous. Analyse faciale en cours."
Amara plonge à gauche. Glisse sous une antenne satellite. Le drone la suit. Son bourdonnement s'intensifie.
Elle dégaine un petit boîtier de sa poche. Appuie sur le bouton. Une impulsion électromagnétique pulse. Le drone vacille. Tombe. S'écrase trois étages plus bas dans un fracas de métal et d'eau.
Mais il y en a d'autres.
Quatre. Six. Dix.
Amara court vers le bord du toit. Quatre mètres jusqu'à la passerelle suivante. Trop loin. Elle n'a pas le choix. Elle saute.
Ses doigts agrippent le rebord de la passerelle métallique. Son corps se balance dans le vide. En dessous, quinze mètres d'eau noire et de câbles électriques qui crépitent. Elle se hisse. Ses bras brûlent.
Un escalier en colimaçon descend vers les niveaux inférieurs du marché cybernétique. Elle dévale les marches trois par trois.
Le marché explose de couleurs et de bruit.
Néons roses. Verts. Bleus. Des hologrammes publicitaires pour des organes imprimés en 3D. Des yeux artificiels qui clignotent dans des bocaux. Un vendeur propose des implants de mémoire – "Souvenirs garantis authentiques, ma sœur !". L'odeur de viande synthétique grillée se mélange à celle de l'ozone et du plastique fondu.
Amara se fond dans la foule. Baisse la tête. Tire sa capuche.
Les drones ne peuvent pas scanner ici. Trop de monde. Trop d'interférences électromagnétiques. Le marché est une zone morte pour la surveillance. C'est pour ça qu'il existe encore.
Elle avance entre les étals. Un homme vend des cartes mères récupérées sur des satellites morts. Une femme propose des batteries liquides dans des sachets plastique. Un enfant court entre les jambes avec un rat-drone mécanique qui couine.
Amara s'arrête devant un stand de composants électroniques.
C'est là qu'elle le voit.
Un homme. Jeune. Vingt-quatre, peut-être vingt-cinq ans. Peau claire. Traits métis. Cheveux noirs coupés court. Il porte une veste en fibre intelligente qui change de couleur selon la lumière – noir, puis bleu nuit, puis gris. Trop propre pour ce quartier. Trop cher.
Il examine une puce processeur. La retourne entre ses doigts. Ses yeux scannent. Lentilles de contact augmentées. Amara reconnaît la lueur caractéristique.
Agent. Forcément.
Leurs regards se croisent.
Une seconde. Deux.
Lui ne bouge pas. Elle non plus.
Le vendeur – un vieux avec des implants dentaires qui brillent – parle trop fort. "Meilleure puce du marché, mon frère ! Vient direct de Shenzhen ! Tu codes dix fois plus vite !"
L'homme ne répond pas. Il fixe toujours Amara.
Elle tourne les talons. Marche vite. Pas de course. Courir attire l'attention.
Mais elle sent son regard dans son dos. Comme une main froide sur sa nuque.
Elle bifurque dans une ruelle latérale. Des câbles pendent du plafond comme des lianes. De l'eau goutte quelque part. Un chat cybernétique – moitié chair, moitié métal – la regarde passer avec des yeux LED jaunes.
Son terminal vibre.
Elle le sort. L'écran affiche un message.
"ALERTE SYSTÈME. INTRUSION DÉTECTÉE. SOURCE : DÉPARTEMENT DE RÉGULATION NUMÉRIQUE."
Son sang se glace.
Un compte à rebours s'affiche.
47:59:58
Quarante-huit heures.
Elle a quarante-huit heures avant qu'ils triangulent sa position. Avant qu'ils défoncent sa porte. Avant qu'elle rejoigne son frère.
Amara éteint le terminal. Le remet dans sa poche.
Derrière elle, des pas résonnent sur le métal mouillé.
Elle se retourne.
L'homme à la veste intelligente se tient à trois mètres. Mains dans les poches. Posture détendue. Mais ses yeux – ses yeux calculent. Mesurent. Analysent.
"Tu cours vite", dit-il. Accent étrange. Pas tout à fait camerounais. Quelque chose d'asiatique dans les intonations.
Amara ne répond pas. Sa main glisse vers le boîtier EMP dans sa poche.
Il lève les mains. Paumes ouvertes. "Je ne suis pas là pour toi."
"Menteur."
Il sourit. Pas d'humour dans ce sourire. "Tu as quarante-huit heures. Peut-être quarante-sept maintenant. Ils vont te trouver. Et quand ils te trouveront, ils ne te tueront pas. Pas tout de suite. D'abord, ils te brancheront. Extraction de données. Tes contacts. Tes codes. Tes amis."
"Qu'est-ce que tu veux ?"
"Te prévenir."* Il fait un pas en arrière. *"Les Sawa jouent à un jeu dangereux. Le DRN n'est pas stupide. Vous pensez pirater leurs pubs ? Ils ont laissé faire. Ils vous tracent. Tous."
"Pourquoi tu me dis ça ?"
Il ne répond pas. Se contente de la regarder. Quelque chose passe dans ses yeux. De la culpabilité ? Du regret ?
Puis il tourne les talons. Disparaît dans l'ombre du marché.
Amara reste immobile. Son cœur bat trop vite. Son terminal vibre de nouveau.
Cette fois, c'est un message crypté. Code Sawa.
"Réunion d'urgence. Serveurs sous-marins. 22h. Viens seule. – F."
F. Femi.
Elle regarde l'heure. 19h34.
Le compte à rebours continue.
47:57:12
Au-dessus d'elle, à travers les fissures du toit du marché, elle aperçoit les tours de Bonanjo. Elles brillent comme des lames. Le ciel artificiel projette un coucher de soleil programmé – orange, rose, violet.
Magnifique et faux.
Comme tout dans cette ville.
Elle commence à marcher vers les serveurs.
Quarante-huit heures.
Elle compte bien les utiliser.
FIN ÉPISODE 1
Le compte à rebours a commencé. Amara a été marquée par le DRN. Qui est l'homme mystérieux ? Que veulent Les Sawa ? Et surtout... pourquoi le gouvernement les laisse-t-il agir ?
Rendez-vous Épisode 2

