Akaba reste figé. Puis ses jambes se remettent en marche. Une après l'autre.
Il la suit.
Ils marchent vingt minutes. Zigzaguent entre les étals fermés. Passent devant des garages où des mécaniciens soudent dans des gerbes d'étincelles. Des bars ouverts crachent de la musique. Makossa. Bikutsi. Basses qui font vibrer le sol.
Idaga marche vite. Akaba peine à suivre.
Elle s'arrête devant une porte. Peinture écaillée. Enseigne lumineuse à moitié morte : **B_R LE GRIN**.
Elle pousse la porte.
L'odeur frappe en premier. Bière éventée. Sueur. Cigarette. Friture rance.
Puis le bruit. Conversations qui se chevauchent. Rires gras. Choc des verres. Une télé accrochée au mur diffuse un match de foot. Personne ne regarde.
La salle est petite. Quinze tables. Toutes occupées. Chaises dépareillées. Sol en béton fissuré. Murs jaunis par la nicotine.
Derrière le comptoir, un homme massif essuie des verres. Cinquante ans. Cicatrice sur la joue. Il lève les yeux.
"Idaga !"
"Patron !" Elle lève le bras.
Tous les regards se tournent vers elle. Puis vers Akaba. Costume. Chemise blanche. Chaussures cirées.
Les conversations baissent d'un ton.
Idaga fend la foule. Akaba la suit comme une ombre.
Elle s'installe à une table dans le coin. Tape sur la chaise en face.
"Assieds-toi."
Akaba s'assoit. La chaise grince sous son poids.
Idaga sort le portefeuille volé. L'ouvre. Compte les billets. Dix mille. Vingt mille. Cinquante mille francs CFA.
Elle siffle entre ses dents.
"Pas mal pour un soir."
Elle lève la main. Le patron approche.
"Deux 33 Export. Bien fraîches."
"Ça marche."
"Et Patron..." Elle brandit une liasse de billets. "Tournée générale !"
Le bar explose en acclamations. Verres qui se lèvent. Cris de joie.
"Merci Idaga !"
"T'es la meilleure !"
Le patron revient avec deux grandes bières. Pose les bouteilles sur la table. Condensation qui coule sur le verre.
Idaga en pousse une vers Akaba.
"Bois."
Il regarde la bouteille. Ne la touche pas.
"Je ne bois pas de bière."
Idaga éclate de rire. Fort. Longtemps.
"Tu ne bois pas de bière !" Elle s'essuie les yeux. "Mec, tu m'as demandé de te tuer il y a vingt minutes, et tu refuses une bière ?"
Elle prend sa bouteille. La lève.
"Aux 72 prochaines heures."
Elle boit. Longue gorgée. Repose la bouteille.
Akaba regarde autour de lui. Les visages qui le fixent. La fumée qui monte. La musique qui pulse.
Puis il prend la bouteille.
Boit.
Le liquide est froid. Amer. Coule dans sa gorge.
Idaga sourit.
"Première étape complète."
Elle se cale dans sa chaise. Croise les jambes sur la table.
"Maintenant... raconte-moi."
"Raconter quoi ?"
"Pourquoi un type comme toi veut mourir."
Akaba pose la bouteille. La fait tourner entre ses mains. Le verre est humide.
Il ouvre la bouche.
Se referme.
Rouvre.
"Ma femme," dit-il finalement.
Idaga attend. Ne dit rien. Laisse le silence faire le travail.
Akaba lève les yeux. Et pour la première fois, elle voit la douleur. Brute. À vif.
"Je l'ai vue. Avec un autre homme."
Le bar continue autour d'eux. Rires. Musique. Vie.
Mais à cette table, le temps s'arrête.
FIN ÉPISODE 2
La bouteille tourne entre les doigts d'Akaba. Encore. Encore. Encore.

