Ombres de Yaoundé Episode 1 La Fantôme de Montréal

Rédigé le 15/11/2025
JC. Madiba


 

 

La neige tombe sur Montréal. Épaisse. Silencieuse. Les flocons s'écrasent contre la vitre du bureau miteux, troisième étage, rue Saint-Denis. Une enseigne clignote dehors : "MBALLA INVESTIGATIONS - Privé". Rouge. Bleu. Rouge. Bleu.

Nadia Mballa est assise derrière son bureau. Vingt-huit ans, cheveux coupés courts, cicatrice fine au-dessus de l'arcade gauche. Elle porte un pull noir à col roulé, un perfecto suspendu au dossier de sa chaise. Ses doigts pianotent sur un clavier. L'écran projette une lueur blafarde sur son visage. Elle ne cligne pas des yeux.

Le chauffage grince. Un radiateur poussif crache de l'air tiède. Sur le mur, trois diplômes encadrés. École de police de Yaoundé. Certificat de détective privé du Québec. Une photo jaunie : deux filles qui sourient devant un manguier. Nadia, plus jeune, bras autour d'une adolescente aux tresses colorées. La photo est piquée d'épingles aux quatre coins. Comme un papillon mort.

Le téléphone vibre. Nadia décroche sans regarder l'écran.

— Mballa.

Une voix masculine, accent de Douala, tremble au bout du fil.

— Madame Nadia, c'est Julien. Mon frère... il a disparu. Ça fait trois jours. La police dit qu'il est parti volontairement, mais je sais que non. Il—

— Adresse, coupe Nadia. Dernière fois que vous l'avez vu. Montant du dépôt.

Pas de compassion dans sa voix. Juste de l'efficacité. Elle note les informations sur un carnet. Écriture serrée, anguleuse. Elle raccroche avant que le client ait fini de pleurer.

La porte du bureau s'ouvre. Un livreur en parka orange entre, secoue la neige de ses épaules. Il tient un colis rectangulaire, emballé dans du papier brun.

— Mballa ?

Nadia hoche la tête. Le livreur dépose le paquet sur le bureau, tend une tablette électronique. Elle signe sans lire. Le livreur repart. La porte claque. Le silence revient.

Nadia fixe le colis. Pas d'expéditeur. Juste son nom tracé au marqueur noir. Lettres majuscules, tremblantes. Elle sort un cutter de son tiroir, tranche l'adhésif d'un geste sec. Le papier brun tombe. À l'intérieur, une boîte en carton. Elle soulève le couvercle.

Une photo. Format 10x15, papier glacé. 

Nadia la saisit. Ses doigts se figent.

Sur la photo : une jeune femme marche dans une rue. Cheveux longs attachés en queue de cheval, jean délavé, tee-shirt blanc. Derrière elle, un panneau publicitaire pour une bière camerounaise. Un moto-taxi jaune flouté en arrière-plan. La date imprimée dans le coin inférieur droit : 12 novembre 2024. Il y a deux semaines.

Le visage de la fille.

Nadia connaît ce visage.

Léa.

Sa sœur.

Morte depuis cinq ans.

La photo glisse entre ses doigts, tombe sur le bureau. Nadia recule sur sa chaise, percute le mur. Son souffle s'accélère. Ses mains tremblent. Elle les plaque contre ses cuisses, ongles enfoncés dans le jean.

Non. Pas possible.

Elle reprend la photo. La retourne. Au dos, une phrase manuscrite à l'encre bleue :

"Elle attend que tu la trouves. Reviens."


FLASH : Yaoundé, cinq ans plus tôt. Nuit.

Pluie battante. Les essuie-glaces d'une voiture de police raclent le pare-brise. Nadia, plus jeune, uniforme bleu marine trempé, parle dans un talkie-walkie. Sa voix craque.

— Unité 3 en position. On entre dans deux minutes.

Elle est devant un immeuble délabré, quartier Briqueterie. Fenêtres condamnées, murs lépreux. Trois autres flics l'entourent. Gilets pare-balles, armes sorties. L'un d'eux, un homme massif au crâne rasé, lui touche l'épaule.

— Nadia, ton informateur a dit quoi exactement ?

— Douze filles séquestrées au deuxième étage. On les exfiltre ce soir.

Le flic hoche la tête. Ils avancent. Défoncent la porte d'entrée. Montent les escaliers. Lampes torches balaient les murs couverts de graffitis.

Deuxième étage. Couloir vide. Silence. Trop de silence.

Nadia pousse une porte. La pièce est déserte. Des matelas au sol, tachés. Des chaînes accrochées au mur. Mais personne.

Son talkie grésille.

— Nadia... tu dois rentrer. Tout de suite.

Sa gorge se serre.

— Pourquoi ?

— C'est Léa. Ils l'ont prise.

Le monde bascule. Nadia court. Dévale les escaliers. Dehors, la pluie gifle son visage. Elle monte dans la voiture, fait hurler le moteur. Les rues de Yaoundé défilent. Nids-de-poule. Flaques. Klaxons.

Elle arrive chez elle. Porte fracassée. Meubles renversés. Et au milieu du salon, un téléphone portable. Écran allumé. Une vidéo se lance automatiquement.

Léa, seize ans, attachée sur une chaise. Bâillon sur la bouche. Yeux terrifiés. Derrière elle, une silhouette floue. Voix déformée par un modulateur.

— Tu nous as cherchés, inspectrice Mballa. Maintenant, on t'a trouvée.

La vidéo se coupe. Écran noir.

FIN DU FLASH.


Nadia se lève brusquement. La chaise tombe derrière elle. Elle tourne en rond dans le bureau. Ses pas résonnent sur le plancher. Elle ouvre un tiroir, en sort une bouteille de whisky, boit au goulot. L'alcool brûle. Elle grimace.

Son téléphone vibre à nouveau. Un numéro inconnu. Elle décroche.

— Qui est-ce ?

Pas de réponse. Juste un souffle. Puis la ligne se coupe.

Nadia enfile son perfecto, attrape un sac à dos sous son bureau. Elle y fourre la photo, un ordinateur portable, un passeport, une liasse de dollars canadiens. Elle ouvre un coffre-fort dissimulé derrière un faux panneau mural. À l'intérieur, un Glock 19, deux chargeurs, un couteau de combat. Elle glisse l'arme dans un holster sous son blouson.

 


FIN DE L'ÉPISODE 1.
À SUIVRE...