Afiana n'avait pas de prise sur son corps. Le mouvement tourbillonnant du baobab le désorientait, le vide sous ses pieds l'aspirait dans une obscurité vertigineuse. Il se sentait à la fois tomber et s'élever, un vertige joyeux qui s'arrêta aussi soudainement qu'il avait commencé.
Il ouvrit les yeux et se retrouva sur la berge d'une rivière étrange, dont l'eau n'était pas un fluide, mais une cascade de bulles de rire. Des bulles de toutes les tailles, des minuscules comme des perles aux énormes comme des ballons, flottaient sur le courant. Et dans chacune d'elles, se reflétait un visage de son village, déformé par une grimace de moquerie. Il y avait le visage souriant du boulanger, le rictus du tisserand, et même le regard pitoyable de Woum, tous se moquant de sa folie.
Des voix, étouffées par les bulles, parvinrent à ses oreilles. "Regardez le fou qui court après une voix !" "Il épousera l'air !" "Pauvre Afiana, il a perdu la raison !". Les rires se mêlaient, créant une cacophonie de sarcasme qui s'attaquait directement à son cœur. La douleur était vive, plus que n'importe quelle blessure physique. Il se sentait honteux, stupide, et l'envie de rebrousser chemin se manifestait de plus en plus fort.
La rivière semblait vouloir l'engloutir, l'enfermer dans ce tourbillon de moqueries et de doutes. La bulle la plus grande, reflétant son propre visage avec une expression désespérée, se détacha du courant pour l'approcher. Il vit son reflet s'effondrer sous le poids des moqueries, le courage s'évaporer. C'était la peur de l'incompréhension, la honte du regard des autres, qui était sa première épreuve.
Soudain, une image, d'une simplicité désarmante, lui revint à l'esprit. Il se revit, enfant, dans le jardin de sa mère, courant après un papillon aux ailes dorées. Son rire, pur et cristallin, résonnait dans sa mémoire. Un rire que personne ne pouvait lui prendre, un rire qui n'était pas né de la moquerie, mais de la joie.
Afiana ferma les yeux, se concentrant sur ce sentiment, sur cette innocence. Il se mit à rire à son tour, un rire sincère et lumineux qui ne venait pas de ses lèvres, mais de son cœur. Ce rire, d'une force mystérieuse, se propagea comme une onde de lumière, se heurtant aux bulles de moquerie. Une par une, elles éclatèrent dans un petit souffle de regret et se dissolvèrent dans le néant. La rivière se vida de ses rires et de ses visages, ne laissant derrière elle qu'une eau claire et silencieuse.
Afiana, le cœur apaisé, leva les yeux. La berge s'étendait pour révéler la prochaine étape de son voyage, et il entendit la voix d'Aïcha résonner : "Le jugement des autres n'a de pouvoir que si on lui en donne. Ta sincérité est la seule vérité."

