21h47.
Amara descend les escaliers rouillés qui plongent sous la surface de l'eau. Chaque marche grince. La rambarde vibre sous sa main. L'odeur de sel et de circuits électriques brûlés monte des profondeurs.
Le niveau zéro du vieux port. Submergé depuis quinze ans. Mais pas abandonné.
Elle atteint la dernière marche. Ses bottes touchent l'eau. Noire. Opaque. Des câbles de fibre optique serpentent sous la surface comme des artères lumineuses – bleu, vert, rouge. Ils pulsent. Transportent des téraoctets de données volées à travers le ventre mort de Douala.
Un bateau pneumatique attend. Sans pilote. Autonome. Amara grimpe dedans. Le moteur électrique ronronne. Le bateau glisse entre les immeubles engloutis.
Des fenêtres brisées la regardent passer. Des balcons où des algues bioluminescentes poussent en grappes phosphorescentes. Elle aperçoit des formes dans les appartements submergés. Des meubles. Des squelettes de véhicules. Une fois, elle croit voir un cadavre flotter. Mais c'est juste un mannequin.
Le bateau tourne à gauche. Entre dans ce qui était autrefois la rue Joffre. Les enseignes de magasins pendent sous l'eau. Pharmacie. Banque. Restaurant. Tout recouvert d'une couche verte et visqueuse.
Amara compte les bâtiments. Un. Deux. Trois.
Le bateau s'arrête devant le quatrième. L'ancien siège de la Compagnie Maritime Camerounaise. Dix étages sous l'eau maintenant. Mais au sous-sol – trois niveaux encore plus bas – c'est là que se cachent les serveurs.
Elle plonge.
L'eau froide mord sa peau. Son implant respiratoire s'active automatiquement. Des nano-filtres dans sa gorge extraient l'oxygène. Technologie de contrebande. Illégale depuis 2057. Elle peut tenir quarante minutes sous l'eau.
Elle nage vers le bas. La lumière des câbles guide son chemin. Ses mains agrippent les barreaux d'une échelle de secours. Elle descend. Un étage. Deux. Trois.
Une porte métallique. Rouillée mais solide. Un scanner rétinien brille en rouge à côté. Amara approche son œil. Le laser balaye sa pupille.
Bip.
Vert.
La porte s'ouvre dans un grondement hydraulique. Une bulle d'air l'aspire à l'intérieur. L'eau s'évacue par des drains. Amara tousse. Crache. Son implant se désactive.
Elle se trouve dans un sas. Des lumières LED blanches s'allument une par une. Une seconde porte devant elle. Celle-ci s'ouvre automatiquement.
Et là, c'est un autre monde.
Le bunker des Sawa s'étend sur deux cent mètres carrés. Ancien parking souterrain reconverti. Les murs sont couverts d'écrans. Des dizaines. Peut-être des centaines. Ils affichent du code en défilement continu. Des cartes de Douala. Des flux de caméras de surveillance piratées. Des messages cryptés qui clignotent.
Sept personnes travaillent là. Assises sur des chaises roulantes. Devant des terminaux holographiques. Leurs doigts dansent dans la lumière bleue.
"Amara !"
Femi Okafor se lève d'un bond. Grand. Musclé. Peau sombre. Crâne rasé avec des tatouages lumineux qui serpentent de sa nuque jusqu'à ses tempes – circuits imprimés qui brillent en bleu électrique quand il réfléchit. Il porte un débardeur et un pantalon cargo couvert de poches. Un sourire immense fend son visage.
Il la prend dans ses bras. La soulève. La fait tourner.
"Pose-moi, idiot."
Il rit. La repose. "T'as réussi ! Le hack de la Place de l'Indépendance ! Tout le monde parle de ça !"
"Tout le monde me cherche aussi."
Le sourire de Femi s'efface. "Le DRN ?"
"Quarante-huit heures. Peut-être moins maintenant."
Silence.
Les autres hackers se retournent. Les regardent. Amara reconnaît certains visages. Tchamba, le gros gars avec des lunettes de réalité augmentée permanentes. Zara, la fille avec les cheveux violets et les doigts couverts de gants conducteurs. Mo, le gamin de seize ans qui code mieux que n'importe qui.
Et puis il y a elle. Yara Diop.
Vingt ans. Peau brune. Cheveux tressés en cornrows avec des perles métalliques. Elle porte une veste militaire sur un crop top. Des tatouages de circuits sur les bras. Elle ne sourit jamais. Ses yeux – marron foncé, presque noirs – fixent Amara avec une intensité qui met mal à l'aise.
"On doit la couper", dit Yara. Voix plate. Froide. "Le DRN la trace. Elle nous met en danger."
Femi se tourne vers elle. "Yara—"
"Non. C'est la règle. Compromis égale expulsion."
"Elle n'est pas compromise. Ils n'ont pas son identité. Juste sa signature numérique."
"Pour l'instant."
Amara avance. Se plante devant Yara. Elles ont la même taille. Se regardent dans les yeux.
"J'ai quarante-sept heures", dit Amara. "Quarante-sept heures pour disparaître ou pour frapper. Je choisis frapper."*
Yara ne cille pas. "Frapper comment ?"
"Le DRN a un datacenter au Plateau. Sauvegardes de toutes leurs opérations. Y compris les listes de victimes des pacifications. Mon frère est là-dedans. Tous les morts sont là-dedans. On expose ça, on expose le régime."
"Suicide."
"Peut-être. Mais je meurs pour quelque chose."
Yara la regarde encore trois secondes. Puis hoche la tête. Lentement. *"D'accord."
Femi souffle. Soulagé. "Alors c'est réglé. On planifie. Mais d'abord..." Il se tourne vers tous les autres. *"Elle doit voir."
"Voir quoi ?"
Il sourit de nouveau. Ce sourire de gamin excité par un nouveau jouet. "Viens."
Fin de l'épisode 2

